Les inégalités hommes femmes illustrées par l’Isotype - Rencontre avec Nepthys Zwer

, par  Jean-Christophe Fichet , popularité : 65%

Avant de décrire ce projet qui a été notre fil conducteur en HGGSP durant l’année 2022-2023, je tenais à remercier Nepthys Zwer [1] pour sa disponibilité et sa bienveillance envers nos élèves tout au long de cette période. Merci également à mes collègues. Il s’agit d’un projet collectif et nous sommes heureux d’avoir pu le mener à bien ensemble, malgré les difficultés inhérentes à une année scolaire classique où l’écrit du baccalauréat se place au mois de mars. Quatre autres enseignants ont guidé ce travail : Françoise Hellard, professeur d’Arts Plastiques, Frédéric Jurczik, professeur documentaliste, Martin Lepetit et Matthieu Carlot, professeurs en HGGSP. Environ 80 élèves sont mobilisés par le projet : Deux groupes de THGGSP, un groupe de première HGGSP, les Terminales option Arts Plastiques. Merci enfin à tous les élèves qui ont participé avec enthousiasme à ce travail alors que les enjeux pouvaient se placer ailleurs pour eux.

1. La naissance du projet.

Le projet nait avant tout de la rencontre avec Nepthys Zwer à l’occasion du Printemps des cartes 2022. J’assiste à la présentation par Nepthys d’une Initiation et découverte à la méthode de représentation graphique de données statistiques, dite Isotype (International System of Typographic). A la fin de son intervention j’ose aller lui poser quelques questions techniques sur la typographie utilisée par les Neurath et sur l’éventuelle existence d’une banque de données libre sur les pictogrammes. Nous discutons, je lui fais part de mon intérêt pour ce langage visuel que j’ai essayé d’utiliser sur le bilan de la Première guerre et que je souhaitais développer dans le cadre d’un travail en terminale HGGSP sur l’enjeu de la connaissance. Je ne m’attendais pas à ce que Nepthys adhère à l’idée, au point de proposer de collaborer sur un projet à développer.

2. Les principes et objectifs du travail.

Les liens aux programmes :

  En classe de première : Thème 4 : S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication. Thème 1 : Comprendre un régime politique – la démocratie.
  En classe de terminale : Le projet cible en particulier ce niveau à travers le thème 6 « L’enjeu de la connaissance » qui est au programme de l’écrit de mars. Le thème a le double objectif de « mettre en avant les conditions de la construction de la connaissance et d’expliquer la manière dont les Etats favorisent ou contrôlent la production et la diffusion de celle-ci ».
« Le premier axe souligne l’importance de l’alphabétisation des sociétés pour accroître le nombre de personnes susceptibles de produire, de recevoir et de diffuser de la connaissance ».
En terminale, les élèves doivent bénéficier d’une étude de cas précise à travers la manière dont les époux Neurath ont mené leurs travaux, cherché à développer les collaborations, dans une optique de partage du savoir construit : l’isotype porte un discours engagé, qui se doit d’être accessible au plus grand nombre.

Les objectifs :

Sur ces thématiques, nous choisissons d’étudier plus particulièrement la place des femmes dans le processus de fabrication du savoir et d’acquisition des connaissances. Plus largement, il s’agit de porter le regard sur les inégalités hommes-femmes en élargissant si besoin à des sujets pouvant s’inscrire dans une étude en lien avec les sujets d’EMC.
Les groupes de MM Lepetit et Carlot fixent plusieurs sujets d’étude parmi lesquels les inégalités salariales abordées par les données de l’INSEE (terminale), les inégalités hommes femmes dans l’enseignement au XIXe siècle et le rôle de la presse dans l’Affaire Dreyfus (première).

Pour mon groupe de terminale, cinq thèmes sont proposés aux élèves. Pour des raisons de calendrier à tenir, chaque groupe bénéficie d’une ou plusieurs sources de données avec parfois un jeu de données construit. Ces sources ne sont pas un passage obligé et les élèves peuvent s’appuyer sur d’autres entrées s’ils le désirent.

 L’inégale alphabétisation des femmes / l’inégal accès aux études supérieures (échelle mondiale) entre hommes et femmes. Les données proposées sont tirées du site de l’Unesco

 La place des femmes dans la vie politique (parlementaires, membres de l’exécutif) à partir des données de l’UIP et de l’observatoire des inégalités

 La place des femmes dans la direction de grands groupes privés avec en proposition, les données des Nations Unies Women in managerial positions

 La place des femmes des femmes dans la production scientifique et la recherche à partir du CWTS Leiden Ranking qui intègre depuis 2019 la parité hommes-femmes. Merci à Marion Maisonobe qui m’a donné la référence de cette ressource.

 Quels noms pour les rues de nos villes ? L’exemple de Rouen à partir des ressources cadastrales. Pour ce groupe, le jeu de données nettoyé est fourni pour permettre un travail rapide.

Un recensement des bases de données sur les inégalités de genre dans le monde est également fourni aux groupes. Toutes ces ressources sont mises en ligne sur l’ENT et utilisables à distance pour les élèves.

3. Le calendrier et étapes du travail.

Un tel projet doit prendre en compte un impératif : il s’agit tout d’abord de faire coïncider le calendrier à une progression qui oblige à terminer les quatre thèmes de l’écrit pour le mois de mars. Les élèves doivent comprendre (il n’est pas évident de les convaincre au départ) que ce travail n’est pas un temps perdu et que tout ce qui sera construit de leur côté doit leur permettre de saisir les enjeux en lien avec ce thème 6 du programme.
Chaque enseignant engagé tient son propre calendrier avec son groupe, en parallèle des moments communs de travail. Je n’insiste ici que sur ma propre progression.
  A la rentrée des vacances de la Toussaint, une séance d’une heure est organisée pour présenter le travail des époux Neurath. Il s’agit de cerner les enjeux de la transmission de la connaissance et les modes de construction du savoir à travers l’isotype.
  Le 17 novembre, une visioconférence avec Nepthys Zwer se tient sur cette même thématique de présentation générale.

  Avant les vacances de Noël, trois séances de 2h chacune sont fixées au CDI. Les élèves ont reçu leur sujet et doivent entamer leur travail de mise en visualisation. Il faut se familiariser avec les données. Il convient surtout, à partir de celles-ci, de fixer un champ spatial et chronologique de travail pour problématiser un sujet. Les premiers débats au sein des groupes apparaissent : quel mode de représentation ? Version numérique ou version dessinée ? Quelle place pour l’isotype ? Quel pictogramme choisir si celui-ci est adopté ? Les élèves ont un temps finalement court pour aboutir à une ébauche assez aboutie de production pour la venue de Nepthys en février 2023. Les groupes ont pour consigne d’avancer le projet durant les vacances de Noël pour être en mesure de faire leur présentation pour début février.

  Le 9 février, sur le temps de la journée, Nepthys intervient auprès des élèves. La journée se décompose en deux temps. Le matin est dédié à un moment de conférence et de présentation par les groupes de leurs travaux en cours.

La vidéo de la conférence :

Le PDF guidant la conférence :

Le support diaporama de la conférence

Après la conférence, les groupes de ma classe et quelques autres groupes des classes de MM Lepetit et Carlot doivent présenter leur travail par une prise de parole de 5 à 7 mn. Il s’agit pour les élèves de justifier leurs choix, de permettre une projection sur la réalisation finale. La présentation est suivie de questions de l’assemblée et d’un retour critique par Nepthys qui amène des conseils.

La présentation du travail en cours : Maëlys, Jeanne, Léa et Ninon
Un travail sur la place des femmes dans la recherche scientifique
Le groupe chargé de la place des femmes dans la vie politique expose ses intentions graphiques
Louise, Amandine, Clémentine et Tyson présentent leur projet sur les femmes managers
Héloïse Margot et Eva présentent leur futur travail sur les inégalités hommes femmes durant le confinement

L’après-midi est consacré à un atelier sur un sujet proposé par Nepthys. Il s’agit pour tous les groupes de travailler sur des chiffres lus par des comédiennes au Théâtre national de Strasbourg en novembre 2022 lors du lancement de l’association HFX Grand Est qui promeut l’égalité dans la culture. Ces chiffres sont fournis par Chantal Regairaz, secrétaire générale du TNS.

Le document transmis aux élèves :

Le document de travail transmis aux élèves

Les élèves, par groupes, choisissent les données qu’ils souhaitent représenter et doivent construire, sur un temps de 3h00, une production visuelle privilégiant l’isotype (mais le mode n’est pas imposé). Les groupes doivent sérier ces données les regrouper en fonction de thématiques qu’ils souhaitent illustrer. Le travail, supervisé et parfois conseillé, par l’équipe doit être produit dans ce temps contraint…

Nepthys organise et passe voir tous les groupes
Réflexion et ébauche de réalisation
Des regards croisés sur les choix
Occuper l’espace, trouver sa place...
Par terre, c’est très bien
Bonne humeur, tout le temps !

…mais les résultats sont au final assez remarquables au regard de ce temps disponible. Tous les groupes ont fini à la fin de la séance.

4. Le temps de l’exposition

Jusqu’aux écrits, le temps est consacré à la fin du programme et aux révisions. Si les travaux de l’atelier sont achevés, il faut terminer les infographies sur les sujets imposés. Une semaine de travail est fixée au retour des vacances de Pâques pour le faire. Certaines épreuves sont imprimées par un professionnel et le calendrier doit là aussi être tenu.

Les travaux de l’atelier avec Nepthys :

La particularité de la production livret :

Les réalisations dans le cadre des groupes de travail avec les enseignants :

Ce format PDF permet de zoomer sur les réalisations et présente également des productions non présentées par les photographies :

Les élèves présentent leur travail lors de l’inauguration de l’exposition le 30 mai :

Vous n’êtes pas tous présents ici, mais bravo à vous toutes et tous !

5. Quel bilan et évaluation ?

Il ne s’agit pas de revenir sur les contraintes du calendrier, mais elles conditionnent la démarche pédagogique. Idéalement, il aurait fallu que les élèves cherchent eux-mêmes les sources pour coller encore plus aux logiques du thème du programme. Il était impossible d’adopter cette démarche.

L’effectif de 80 élèves n’a pas toujours permis le confort du travail lors des pleinières mais il était important qu’un maximum d’élèves puissent s’inscrire dans cette rencontre. L’objectif était aussi l’interdisciplinarité et le travail guidé par Mme Hellard a permis des réalisations très abouties et des regards croisés intéressants sur les modes de représentation.

Bien sûr ces productions sont pour certaines critiquables par leurs choix, en particulier graphiques. Ex : oubli de la légende sur « Inégalités de genre dans le domaine artistique en 2019 » (Travail atelier). Des productions font visualiser des stocks par des classes d’aplats. Les retours ont eu lieu avec les élèves. On discute des problèmes de compréhension que cela engendre.

L’objectif était avant toute chose de prendre contact avec ces modes de représentations, de cerner, par le travail sur les données, des modes de construction et de diffusion de la connaissance. Certains petits mots rédigés à l’intention de Nepthys montrent que nous avons approché cet objectif.

L’évaluation pour mon groupe a été conduite en deux temps. Une première note, au deuxième trimestre, a évalué le travail mené au CDI avant la venue de Nepthys ainsi que la prise de parole pour la présentation du projet de groupe. Une deuxième note, au troisième trimestre, a évalué la production graphique finale combinée à l’investissement de chaque élève dans le groupe.

Mais l’évaluation chiffrée ne permet pas tout. Il y a eu, pour tous, le sentiment d’avoir partagé un moment rare, qui nous a soudé sur l’année. Le sens de l’enseignement de spécialité se trouve sans nul doute dans ces projets. On ne peut que regretter qu’ils soient si difficiles à conduire en raison des impératifs évoqués précédemment.

Les photographies illustrant l’article ont été prises par les enseignants impliqués dans le projet.
Merci à Nepthys Zwer d’avoir relayé ce travail sur Imagomundi, un tout nouveau site collaboratif dont nous reparlerons ici bientôt.

[1Nepthys Zwer est chercheuse en histoire et culture des pays de langue allemande (Allemagne et Autriche, XIXe- XXe siècle), spécialiste de l’oeuvre d’Otto Neurath et du système graphique d’information Isotype. Elle est notamment l’autrice de L’Ingénierie sociale d’Otto Neurath, paru aux PURH en 2018 et, avec Philippe Rekacewicz, de Cartographie radicale aux Ed° de La Découverte en 2021.