L’Ukraine

, par  Rémi Guédon , popularité : 4%

En 2014, dans « Pour le renouvellement de la sémiologie de la carte de flux », Françoise Bahoken explique qu’il est important de faire la différence entre le flux et le mouvement spatial. Il s’agit ici de représenter les points de départ et d’arrivée ainsi que l’espace emprunté par le déplacement, donc à la fois le déplacement et le mouvement. Pour cela le choix du figuré cartographique est donc primordial car il s’agit de représenter l’ensemble de l’information : déplacement + mouvement. Le cartographe a alors dans sa trousse à outil, de manière traditionnelle, des segments et des flèches. On joue sur la taille, la largeur, la couleur, la transparence pour permettre au lecteur la meilleure compréhension possible du phénomène à interpréter.

L’idée est d’utiliser le figuré le plus approprié pour représenter le flux et le mouvement, pour tenir compte de l’interprétation que peut en faire le lecteur. Ainsi, une flèche opaque et large qui présente les déplacements de quelques milliers de personnes se rendant dans un autre pays que le leur peut donner l’effet d’une invasion, et entretenir une peur de l’étranger. Ce type de sémiologie a été particulièrement utilisé par les services de propagande. On comprend donc ici tout l’enjeu de la représentation cartographique des flux et des mouvements spatiaux.

Mais, ne serait-il pas envisageable de proposer un autre outil pour le cartographe que la flèche ou le segment ? Ou plutôt, ne pourrait-on pas développer un outil que le cartographe possède déjà : le point. Le point seul ne permet pas de représenter ni un flux, ni un mouvement. Il est au contraire absolument, irrémédiablement, statique, immobile. Mais une association de points, peut-être bien… On a tous par exemple en tête la suite de petits points représentant les traces de pas guidant jusqu’au trésor caché sur les cartes de pirates des BD de notre enfance. L’association de points représente le chemin, alors pourquoi pas le mouvement et le déplacement ? C’est surtout après avoir réalisé en cARTo point une projection de Spilhaus que je me suis rendu compte que les associations de points pouvaient représenter un mouvement, ici, celui des vagues dans l’océan.

C’est la forme d’arcs circulaires imbriqués les uns dans les autres qui crée la sensation de mouvement, voire même la vitesse de déplacement à l’image des ondes à la surface de l’eau après y avoir jeté une pierre. Le cœur des arcs de cercles est le point de départ et le dernier arc est une étape ou l’arrivée. On peut ainsi jouer sur la densité de points (transparence/opacité), la largeur du mouvement et la longueur du déplacement. Aussi, en associant des arcs de petits points plus ou moins éloignés les uns des autres, on peut envisager une représentation de la vitesse de déplacement. S’ils peuvent représenter le mouvement des vagues, ne pourraient-ils pas être interprétés par un lecteur comme un mouvement de population ?

Je suis donc parti de ce constat et me suis lancé pour défi de réaliser un cARTo point de la situation en Ukraine. L’idée était de représenter plusieurs types de déplacements en même temps, et avec un seul outil : le point noir de 0,4 mm.
  J’ai donc tenté de représenter les déplacements de l’armée russe agressant l’Ukraine. Là, les points sont serrés les uns à côté des autres, ordonnés. L’écart entre chaque arc est très faible afin de montrer la faible vitesse de déplacement par rapport à ce que les observateurs avaient imaginé de cette guerre qui devait être éclair. On observe ces éléments en Crimée, dans le Donbass et dans le Nord du pays.
  Toujours avec le point noir de 0,4mm, j’ai aussi tenté de représenter les mouvements des populations ukrainiennes. On peut ainsi remarquer que les points sont plus espacés les uns des autres sur le même arc. C’est pour moi à la fois le symbole que ces populations vivent dans un État souverain, libre et le symbole de la fuite nécessaire face à l’agresseur. Les arcs sont plus ou moins espacés les uns des autres afin de montrer la spontanéité, la violence de cette fuite pour se sauver. L’essentiel de ces flux et mouvements sont donc représentés de l’Est vers l’Ouest.
  Enfin, on remarquera également que les principaux espaces urbains sont entourés de cercles entiers. Les villes sont les espaces de concentration des populations, donc les points de départs principaux à la fois pour fuir, mais aussi pour aller au front. Ces mouvements de populations autours des grandes villes pourraient bien aussi être lus comme les bombardements dont ces espaces sont les principales cibles.

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